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LEO

Photo du rédacteur: Véronique LanonneVéronique Lanonne

Il n’a jamais été jeune Léo. Ni dans sa tête ni dans son cœur. 70 Hivers à trainer ses sabots pleins de colère. Il n’aime rien Léo. Pas même son chien. Il sent le patibulaire, l’être ingrat que rien n’éclaire. Il ne pleut jamais dans les Pouilles sauf aujourd’hui. Et il râle dès le réveil en faisant réchauffer son café. La vache qui lui sert de chien bave sur les planches de son parquet. Il prend un vieux quignon de pain et lui balance. Il se souvient même plus pourquoi il a pris un chien. Il a essayé de le perdre une fois. Mais le chien est revenu 3 jours plus tard. Sale comme un vieux cochon. Alors il l’a gardé, pour tromper l’ennui. La pluie redouble et éclate sur les volets pourris. Il ne les ouvre jamais. Léo ronchonne en allant chercher sa canne. Un bâton de marche plutôt qu’une canne. Avec lequel, à l’occasion il frappe le cul de son chien. Il enfile une gabardine élimée. Le chien se dresse. Ça fait bien longtemps qu’il a perdu la laisse. La bave du Danois coule en long filet gluant sur le tapis. Il prend les clés pendues à un clou et sors. Le chien sur ses talons.


C’est pas la ville ici. Y’a pas grand-chose d’autres que des Oliviers. Tous biscornus. Des plantes toutes sèches et des cailloux. Y’a moins de dix maisons dans le hameau. Dont deux en ruines. Il connait tout le monde Léo mais dit jamais bonjour à personne. Pourquoi faire. Il ne parle même pas à son chien. Il passe à côté de la ferme des Manganelli. Fabio le salut d’un geste de la main. Jamais fatigué le gros Fabio. Pousser des brouettes d’olives du soir au matin, ça ne l’a pas fait maigrir ! Léo n’aime pas l’huile d’olive des Manganelli. Elle sent le rancit. Il pousse sur son bâton pour monter le chemin d’Andrano. Arrivé en haut il fait une pause. Il est plus si jeune. Le chien a disparu. Si seulement ! Mais il entend aboyer au loin, derrière le pic de Vista Gargano. Puis, comme un écho, un autre aboiement. C’est pas son chien. La pluie a cessé mais la terre trop aride ne l’absorbe pas. Ça fait des flaques aussi grosses que des lacs et Léo est obligé de patauger. Il a le pantalon tout crotté. Il voit son chien, un chien aussi gros qu’une vache ça se voit de loin. Et à côté une petite bête ridicule. Une boule de poil souillée qui couine plus qu’elle aboie.


Il s’avance en serrant plus fort sa canne. Il s’apprête à en jouer sur les flancs de la petite bête pour la faire déguerpir. Son bâton se fige, il entend une voix. « Aiuto, Aiuto, Aiutami ! ». Assise contre un tronc d’olivier mort, une femme, toute petite, le supplie. La main sur sa cheville gonflée et lacérée. Léo s’approche…


Elle a plus 20 ans Gabriela et elle parle pour deux. Elle chante aussi. Elle ouvre les volets pourris et nettoie les tapis. Elle fait du café frais et en verse dans la tasse de Léo chaque matin. Elle aime l’huile d’olive des Manganelli, elle en met partout. Elle boite encore mais Léo lui a trouvé une canne. Il a deux chiens maintenant Léo. Dont un ridicule. Et une femme, toute petite, qui lui tient la main.



Véronique Lanonne ©2019

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