Je l’avais enterré avec les autres. Bien au fond. Un secret qui terrifie. De ceux qui détruisent. J’ai fait comme si. Comme si tout allait bien et j’y ai cru. Longtemps. J’ai forcé le courage à coup de médocs et quand ça ne suffisait pas je prenais un verre ou deux ou jusqu’à ce que j’oublie. On ne s’en remet jamais vraiment. Je n’ai jamais parlé. A personne. J’avais honte. J’avais peur aussi. Mettre des mots dessus c’était le faire revenir. Il est mort maintenant alors à quoi ça sert. Je l’ai aimé mon agresseur. Ce n’est pas des choses qu’on dit. Mais je l’ai aimé juste avant qu’il ne me viole. Il était mon premier amour. J’étais une petite chose effrayée à l’époque. Et lui un guerrier. Il m’a tout appris. L’amour aussi. Il était ce que j’avais peur d’être. Mon opposé complémentaire. A un âge où tout est encore intense. On se croit invincible.
Je me souviens du point de bascule. Dans ses yeux. Je l’avais déjà vu avant mais j’avais fait comme si. Je l’aimais. Il m’aimait. Ça me suffisait. Un non et tout change. Un non et une gifle part, puis une autre, puis ses mains sur mes poignets, son corps puissant qui m’écrase. Je m’enfuis. Je ne suis plus dans mon corps. Je vole au-dessus. Je le vois sur moi. Je vois la voiture dans le chemin de terre. Mes chaussures sur les feuilles mortes. Je ne veux pas y croire. Je me dis qu’il va me tuer. Je me dis qu’il m’aime. Je n’ai pas crié. Je ne me suis pas débattue. Le temps n’existe pas. Une minute ou une heure. Toute la nuit. Je ne sais plus. Il m’a dit « rhabille-toi tu vas avoir froid » mais je ne sentais plus rien. Il m’a ramenée à la maison en me disant « à demain ». Comme si.
Je ne suis pas sortie pendant des jours. Je n'en ai jamais parlé. Qui m’aurait crue ? Il était mon amour. Je ne suis plus la même, j’ai basculé avec lui ce jour-là. J’essaie de faire comme si. Comme si je m’étais défendue, comme si j’avais parlé. Puis je me dis que j’ai eu de la chance. Je suis en vie.
Véronique Lanonne ©2019
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