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  • Photo du rédacteurVéronique Lanonne

DANIEL

En l’an 2, quelque part dans l’ailleurs, vivait un paysan prénommé Daniel. Il exploitait une petite ferme sur les terres d’un seigneur, un bien maigre cheptel qui lui permettait tout juste de satisfaire aux besoins essentiels de sa famille. Son père, plus si vigoureux lui donnait tout de même un coup de main pour faire pousser ses radis. Sa mère était morte en couche, faute de médecin. Chaque jour, il partait à l’aurore et chaque soir, bien après que la lune ne soit tombée, il rentrait fourbu. Une soupe de maïs bien chaude l’attendait et le sourire de sa femme, les câlins des enfants lui redonnait du courage pour le lendemain.


Tous les matins, le percepteur venait chercher la dîme, et, tous les matins, Daniel lui donnait tantôt le lait, tantôt les œufs, tantôt la poule. Mais voilà que ce matin, le percepteur voulait la vache. L’inflation, mon pauvre Daniel, on n’y échappe pas. Ni ici. Ni dans l’ailleurs. Alors Daniel donna sa vache. Après tout, il lui restait ses radis. Quelques têtes de bétail et du maïs pour faire la soupe. Le seigneur de ces terres était bien bon de lui laisser exploiter son lopin. Ce soir, avant de rentrer il irait parler à son Dieu, le Grand Sachant. Il lui ferait une offrande et lui demanderait de l’aide. Il retrouva le sourire et vaqua à ses occupations de la journée. Une vie bien dure pour un maigre résultat mais la vie c’est ça. Une soupe au lit et on recommence.


En cette Sainte journée de l’an 2, lorsque le soleil tout timide pointa le bout de son nez, Daniel, comme à son habitude, voulu faire sortir ses vaches. Ça beuglait à tout va mais pas une ne bougeait. Il prit sa perche et commença à en jouer sur les flancs. Toujours rien. Étonné il rentra dans l’étable, deux de ses bêtes gisaient, toute raide. Daniel n’était pas homme à verser sa larme, il la versa pourtant. D’autres paysans de la région perdirent des bêtes dans les jours qui suivirent. Une maladie inconnue frappait et décimait.


Quand Daniel perdit sa quatrième vache, il prit sa pondeuse en chef et décida, en ultime sacrifice, de la donner au Grand Sachant en espérant qu’il épargne le reste de son troupeau. Il l’égorgea dans la forêt sur la pierre de l’arbre aux souhaits puis commença sa prière. Une voix venue de l’autre ailleurs lui répondit.


« Tu dois protéger ton troupeau Daniel, et pour ce faire, garder tes vaches à l’étable. »


Alors Daniel ne fit plus sortir ses vaches. Mais quand la cinquième vache finit les quatre pattes en l’air il revint à l’arbre aux souhaits.


« Ô Grand Sachant, toi qui es le roi des rois, régnant sur toute chose, dans l’ailleurs et l’autre ailleurs, j’ai suivi tes commandements mais Marguerite est morte hier. Dis-moi ce que je dois faire. »


La voix lui répondit :


« Daniel, ta vache est morte de vieillesse, je n’ai pas de remède à cela. Garde ton troupeau dans l’étable, suis mon commandement car je suis le roi des rois, régnant sur toute chose dans l’ailleurs et l’autre ailleurs. »


Ce que Daniel fit. Le troupeau fut bien gardé ; enfermé. Bientôt le lait, qui coulait à flot se tarit. Et d’autres vaches moururent. Se furent, ensuite, au tour des cochons puis des poules. Le seigneur des terres fit un geste pour ces pauvres paysans et leur accorda un moratoire. Ils ne payeraient plus la dîme pour un temps mais donneraient le double une fois l’épidémie terminée. Daniel et sa famille purent enfin respirer, manger leur soupe, tant qu’il y aurait du maïs, il y aurait de l’espoir.


Daniel ne trouvait plus le sommeil, le Grand Sachant s’était trompé. Les animaux agonisaient. Comment un Dieu pouvait-il faire pareille erreur ? Il se leva en pleine nuit et partit en forêt. Il était presque arrivé quand il entendit une voix, celle du seigneur de ses terres, agenouillé près de l’arbre à souhaits qui s’adressait au Grand Sachant :


« Comment ne pas leur dire, ô Grand Sachant, qu’après avoir enterré leurs bêtes ils devront enterrer leurs parents, comment ne pas leur dire, ô Grand Sachant, que tout est trop malade pour être sauvé, moi, un des seigneurs qui suit tes commandements depuis aussi longtemps que l’ailleurs existe je dois mentir et mentir encore. Donne-moi la force de continuer, préserve mon domaine, ma famille et mes richesses ».

Et au Dieu de répondre :


« Pour sauver ta vie et celle des tiens, tu devras suivre mes commandements. Qu’en chaque contrée les peuples m’obéissent et que chaque seigneur fasse résonner ma voix. Nous devrons prendre leurs enfants puisque les bêtes n’ont pas suffi. Nous devrons vider de leurs étables et décimer leurs champs. Lorsqu’enfin ils auront tout perdu, lorsque de l’espoir il ne restera rien, je serai enfin le roi des rois, régnant sur toute chose dans l’ailleurs et l’autre ailleurs. Qu’ainsi, par ta main et celle des maîtres de toutes les terres, ma volonté soit faite et exécutée ».


Daniel tomba le cul dans les ronces. Ce Dieu qu’il prenait pour le sauveur était un foutu menteur et ce seigneur l’instrument d’une force qui le dépassait. Il erra dans la forêt toute la nuit et revint à la ferme au matin, bien décidé à répéter à qui voudrait bien l’entendre que ce Dieu les avait trahis. Il commença par sa famille qui pensa qu’il était fatigué et bien trop préoccupé puis ce furent ses voisins qui le prirent pour un fou, partout sa parole fut raillée, déformée. Bientôt il n’eut plus d’amis, de soupe sur la table, de sourire de sa femme ni de câlins de ses enfants. Quand il frappa à la porte du Seigneur on le jeta dans une geôle.


Les années passèrent, le maïs disparu, l’espoir avec, puis, après lui, les vieux. Pour beaucoup c’étaient des bouches de moins à nourrir. Sans maïs pour la soupe et sans bêtes l’avenir s’annonçait compliqué. On se souvint des paroles du fou quand finalement les enfants furent touchés. Mais un Dieu est un Dieu. Ce qui est ordonné par les seigneurs, maîtres des terres de l’ailleurs doit être exécuté. Ils œuvrent pour le bien commun. Alors on enterra les enfants avec les vieux et on oublia.


En l’an 2017, dans un ailleurs qu’on appelle « Terre » un prénommé Daniel me remit un manuscrit intitulé : « Préparez-vous, vous êtes immortels », bien avant que ne rugisse l’océan déchaîné nous trainants de déferlantes en déferlantes. J’y ai trouvé mes réponses, la vérité qui résonne aujourd’hui dans mon cœur. Pas parce que je crois. Non. Mais parce que j’expérimente. Il y a des vérités qui traversent des siècles de mensonge. Des voix qui résonnent au-delà de l’univers de l’ailleurs. Les sons qui sortent de la bouche de nos rois, de nos seigneurs, des maîtres des terres ne sont pas la voie. Les Dieux qui soufflent à leurs oreilles ne sont pas nos Dieux. N’écoutons plus personne. Entendons-nous. Entendons nos cœurs battre à l’unisson et nos petites voix intérieures guidées par l’amour et non par la peur. Sauvons-nous. Sauvons-les dans l’ici et maintenant car dans l’ailleurs il est déjà trop tard.



Véronique Lanonne @2021

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