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  • Photo du rédacteurVéronique Lanonne

JE NE SAIS PLUS QUI A DIT

Dernière mise à jour : 6 nov. 2021

J’entends encore le bruit des casseroles à la cuisine, l’odeur du café bouilli qui cuit et recuit dans ta petite casserole en alu. La radio allumée pour diffuser un jeu qui n’existe même plus dans mes souvenirs. L’odeur des légumes frais, de l’oignon qui rissole, ton parfum à la lavande et ta foutue cigarette qui se consume dans le cendrier. Tu m’attends, comme chaque matin, avec une tasse de café déjà prête. Tu m’attends. Je me lève toujours tard. Toujours de mauvaise humeur. Je m’assois à côté de toi et tu ne parles pas. Tu sais que je ne supporte pas qu’on me parle avant mon premier café. Tu attends. Patiemment. Tes yeux débordent d’un amour sans âge. Ils étaient si clairs. Tes yeux. Gris. Presque transparents. Ils éclairaient tout. Même mon désespoir. Tu ne parles pas, tu poses ta vieille main sur la mienne. Plus qu’une caresse. Un apaisement. Tout passe. Tout ira bien. Et moi du haut de mes seize ans je crois tout savoir. Je ne sais plus qui a dit « la vie est une tartine de m.... et on en mange un morceau chaque jour » mais c’est ce que je vis. Je ne vois pas la lumière au fond du tunnel, je m’y suis perdue, je suis tombée dans un puit sans fond et je l’aime mon trou. La mort y vit. Tu l’as compris. Tu ne parles que lorsque c’est nécessaire et tout le monde t’écoute, même moi. Tu as sauvé tellement de vies et tu n’en as jamais rien dit. Tu as sauvé la mienne aussi. Mais ça tu ne l’as jamais su. Je fouille dans tes affaires la nuit pour te trouver. Un tampon de la préfecture et du matériel d’imprimerie cachés au fond d’un tiroir, des faux papiers, des faux tickets de rationnement. Et je n’ose pas te demander. J’ai tellement peur. Peur de ne jamais pouvoir te ressembler. De ton séjour en prison je ne sais rien ou presque. Je l’ai appris dans un livre, ton histoire. Foutue guerre. Devoir choisir son camp, fléchir ou lutter. Tu as lutté. Malgré les tortures infligées pendant ta détention, tu n’as jamais parlé. Ou si. Juste une phrase. « Une fille de France ne vend pas son père ». Lui aussi tu l’as sauvé. Alors quand tu parles on t’écoute. Et moi je t’écoute même quand tu ne parles pas. J’écoute ta main posée sur la mienne qui me dit que tout ira bien. Le café que tu verses dans ma tasse pour réchauffer mon âme. Les livres que tu m’achètes quand je m’enferme. Tes silences posés sur mes larmes. Et toutes les questions que tu ne poses pas. Aujourd’hui je sais que je vais lutter. Comme toi. Je l’ai trouvé caché au fond. Là où les ombres guettent. Un trésor. La clé. La mienne. Le courage de vivre. De me battre pour conserver ma liberté. La nôtre. Je ne sais plus qui a dit « la vie est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber » mais je peux t’assurer que je vais les manger. Tous. Jusqu’au dernier. Véronique Lanonne @2019

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