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  • Photo du rédacteurVéronique Lanonne

JEANNE

Jeanne a 68 ans. De l’arthrose qui lui ronge les os et un cancer qu’elle ne soigne pas. Elle se lève avant le soleil. S’accorde dix minutes pour dérouiller son corps meurtri. Pleure parfois de douleur. Puis se reprend. Elle n’a pas de temps pour ça. Le café coule déjà, elle s’habille à la hâte et part travailler. Elle vide les poubelles, récure les toilettes et passe l’aspirateur dans les open-space. Avant que la force vive de la nation arrive. Parfois après, pour ramasser ce qui reste.


Jeanne aurait aimé pouvoir arrêter de travailler. Comme elle aurait aimé que sa maigre pension puisse suffire. Mais tout augmente. Le toit qu’elle loue et qui aujourd’hui l’abrite. Les légumes qu’elle cuisine et les factures qui s’empilent. Jeanne prie chaque soir pour que son corps résiste. Mais elle sait. Elle finira bientôt dans un mouroir d’état. Elle quittera ses choses. Ses souvenirs. Sa dignité.

Jeanne a élevé ses enfants seule. Sans aide sociale. A l’époque on était fier. Elle ne les voit pas souvent et ne leur a jamais rien dit. Ni pour le travail. Ni pour le cancer. Elle ne veut pas les embêter avec ça. Alors elle ment. Elle s’invente des parties de bridge les soirs où elle travaille et des mini-croisières quand elle n’a plus la force de répondre au téléphone. Ils l’apprendront quelques jours plus tard quand on retrouvera son corps sans vie sur la moquette immaculée d’un open-space.


Véronique Lanonne @2019

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