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  • Photo du rédacteurVéronique Lanonne

L'AMANDE

Je vais mourir dans quelques minutes. D’un accident domestique. J’aurais souhaité mourir avec panache. Il n’en fut rien.


Je n’avais pas attendu qu’il rentre, je m’étais servie un verre de vin et m’étais écroulée sur le sofa. J’étais épuisée. Les clients avaient signé le contrat après ma présentation. J’avais passé ma journée à courir. Sauf de 5 à 7. Je m’étais accordée une pause détente avec Paul, mon amant. Il avait eu raison du peu d’énergie qu’il me restait. Mais quelle journée ! Flamboyante, vibrante, excitante c’était tout moi !


La voiture pénétra dans l’allée. Je me préparais mentalement à arborer le masque de la parfaite épouse. J’en avais l’habitude. Mon mari, bien que socialement accompli et plutôt bien fait de sa personne m’ennuyait mais me procurait une sécurité financière que je ne pouvais ignorer. Je feignais. Mentais. Trompais. Sans vergogne et sans culpabilité. Il déposa ses clés dans le vide poche de l’entrée et, d’une voix légère, lança une bombe.


- Bonjour mon cœur, tu as passé une belle journée ? Comment s’est passé ta présentation, ils ont signé finalement ? Au fait j’ai rencontré Patrick ce matin… Tu sais Patrick, le frère de Paul, tu connais Paul il me semble non ?


Là, j’avais perdu de ma superbe et pour tout dire mes mains commençaient à trembler. Je serrais mon verre en espérant qu’il ne remarque rien.


- Oui je crois. Il a travaillé avec nous quelques temps mais je ne sais pas ce qu’il est devenu - j’avais essayé de prendre un air détaché mais ma voix tremblait - je suis épuisée pardonne-moi mon chéri. La journée fut longue.


- J’imagine oui ! Répondit-il sèchement.


Je l’ai senti immédiatement. Au ton de sa voix. Il savait. Il s’est approché de moi un verre à la main. Il a pris ce qui restait du mien. L’a bu d’un trait et m’a tendu le verre plein en souriant.


- Le cépage est meilleur que celui que tu as ouvert. Bois et dis-moi ce que tu en penses.


La peur brulait mes entrailles. Je devinais le poison qu’il avait versé dans le verre.


- Bois ! dit-il avec autorité.


Mes mains tremblaient de plus belle. Des larmes me brûlaient les yeux. Il restait là. Debout, face à moi. Attendant que mes lèvres touchent le velours putride.

Sans doute pris de remords en voyant les larmes couler sur mes joues il s’assit à côté de moi et me pris dans ses bras.


- Ma pauvre chérie, tu es bouleversée, ta journée a dû être vraiment éprouvante. Tu sais quoi… je vais te faire couler un bain. Un bon bain chaud voilà ce dont tu as besoin. Ne bouge pas, je m’occupe de tout. En attendant goûte ce vin s’il te plait, je voulais en acheter une caisse mais j’aimerais être certain qu’il te plaise.

Il monta les escaliers et disparu dans la salle de bain. J’en profitais pour vider le verre du liquide visqueux qu’il contenait. Une fois le verre rincé je le rempli à nouveau du vin que j’avais moi-même ouvert en rentrant.


- Tu fais quoi ?


Je sursautais, le verre m’échappa et se brisa sur le sol carrelé de la cuisine. Je ne l’avais pas entendu descendre.


- Ne bouge pas ! ordonna t’il sèchement. Puis d’une voix qui se voulut plus douce reprit. Je ne voudrais pas que tu te blesses ma chérie.


Il ramassa ce qui restait du verre et tendit dans ma direction le plus gros morceau aux arêtes saillantes. Ses yeux brûlaient d’un feu que je n’avais encore jamais vu.


- Regarde ! dit-il. Regarde comme ce morceau pourrait être dangereux. Tu aurais pu te couper sérieusement. Un accident domestique est si vite arrivé. Tu dois faire attention Mélanie. Il jeta les bouts de verre avec précaution. Ton bain est prêt je pense qu’il te fera le plus grand bien. Tu es à fleur de peau ce soir, dit-il en caressant d’une main mon cou.


Il avait raison, ce bain me ferait du bien, je devais retrouver mes esprits et surtout me faire venir une idée pour me sortir de ce guêpier. Je plongeais donc un pied dans une mousse parfumée, chaude et bienfaisante. Un peu trop chaude. La main tendue pour atteindre le robinet, mon pied glissa et ce qui devait arriver arriva. Mon corps bascula en arrière et ma tête heurta le coussin de bain que mon mari avait installé. Heureusement plus de peur que de mal. Je m’en sortirais avec un bleu ou deux mais rien de bien grave. Je me laissais, pour le moment, engloutir par cette eau régénératrice aux vertus apaisantes. Il frappa doucement et pénétra dans la salle de bain en peignoir, les cheveux mouillés.


- J’ai pris une douche en bas pour ne pas te déranger mais je ne veux pas rester les cheveux mouillés ce soir. Tu permets ? dit-il, en extirpant le sèche-cheveux du tiroir.

J’étais prise au piège. Je n’aurais pas le temps de sortir de la baignoire. C’était fini. Il fixa mes yeux dans le miroir et le brancha.


- Tu es livide mon ange, dit-il. Aussi blanche que la mousse de ton bain. Tu me fais peur. Tu veux que j’appelle le docteur ? N’attendant pas ma réponse il mit en marche l’engin de mort et commença à sécher ses cheveux.


J’étais pétrifiée par la peur. Je n’arrivais plus à parler. Il sifflotait. Débrancha enfin l’appareil et le rangea dans le meuble.


- Tu me rejoins en bas, je t’attends. Au fait, tu sais que Patrick n’a plus aucune nouvelle de son frère Paul depuis plus d’un an ? Ils se sont brouillés à cause d’une histoire de... succession je crois. C’est triste tu ne trouves pas ?


- Oui ça l’est, répondis-je. J’essayais de cacher le soulagement provoqué par cette nouvelle. Il ne savait pas. Ne pouvait pas savoir. J’étais en sécurité. Je te rejoins en bas tout de suite mon chéri.


Je me séchais rapidement et ayant retrouvé un peu de ma contenance habituelle le rejoins sur le sofa. Il avait rempli deux verres de vin et disposé quelques amuses bouches en accompagnement. Nous trinquâmes à la vie, l’amour pour que tout dure toujours. Et moi, silencieusement, pour que jamais il ne découvre ma trahison. Le vin était bon. Il avait raison. Je grignotais de bon cœur, l’orage était passé. Une amande. C’est une amande qui causa ma mort. Une de ses amandes salées qu’on picore dans les mélanges de fruits secs. Elle m’asphyxia. Une fausse route banale. Et pendant que je m’étouffais mon mari me regardait me débattre en souriant. Il savait. Je rendis mon dernier souffle les yeux injectés de sang sur le tapis du salon.



Véronique Lanonne @2019

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