Les invités arrivent, tout est prêt. Seule la table ronde est dressée. Du cristal et des bougies blanches. Les tentures de velours sont tirées. La lune est cachée. Pas de vaisselle d’apparat, de porcelaine ni de carafe. Les convives ne viennent pas pour manger. Sept fauteuils remplacent les chaises Canadel. Le tapis a été aspiré.
Pendant que les invités prennent place, mine fermée, je me prépare à recevoir l’union. Le silence, religieusement installé, est propice pour l’invocation. J’invoque donc avec ferveur les sans-corps concernés. La table tremble, la flamme s’éteint. Ils sont là. Un enfant vient à moi. Il me sourit. Auréolé d’une lumière blanche, sa présence est apaisante. Derrière lui, un vieil homme attend son tour. L’enfant tend la main et d’un doigt m’indique à qui s’adresse son message. J’accepte de lui prêter mon corps. La transe me cambre, mes yeux se révulsent, je le quitte en paix. Je flotte, accrochée au plafond de la salle à manger. Je n’entends pas vraiment ce qui se passe en bas. Ça fait bien longtemps que je n’écoute plus. Les messages doivent être passés. Je ne suis qu’un vecteur.
Je m’amuse toujours dans l’entre-deux. La gravité n’existe plus. Mes rencontres sont toujours passionnantes. Je vois les dormeurs et les autres voyageurs. Beaucoup que je connais et les nouveaux. Les nouveaux, souvent englués dans la matière, ne vont pas très loin mais ils apprendront à se défaire de l’organique. Je quitte la terre à une vitesse vertigineuse, je baigne dans le « tout » avec délectation. Des vaisseaux de toutes sortes fendent l’immensité en silence. Une lumière me rejoint. Tourne un instant, puis s’arrête. D’âme à âme, de cœur à cœur nous nous relions. Je suis elle, elle est moi. Rien n’est séparé ici-haut. L’ici-bas a encore beaucoup de chemin à faire mais le travail a commencé.
Le fil se tend, on me rappelle. Je réintègre mon gant. Un corps tout petit. Bien trop étroit. Je me replace et ouvre les yeux. Des larmes et des nez coulent encore. On me remercie avec dévotion. À une époque, on m’aurait clouée au pilori, brûlée ou noyée. Mais ce temps est révolu. La voix des « sans corps » entendue. On m’a fait savoir qu’ils viendront moins désormais, quelque chose se prépare. Mais c’est dans l’air ici aussi. Je suis prête, j’ai attendu longtemps.
Véronique Lanonne @2021
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